Introduction Les populations en situation de grande précarité que sont les personnes sans-abris et migrantes hébergées ont été surexposées au SARS-CoV2 avec une morbi-mortalité plus importante, du fait de facteurs liés à leurs conditions de vie principalement (manque d'accès aux soins, densité de population). La vaccination de ces personnes contre le COVID-19, enjeu prioritaire souligné par de nombreuses recommandations nationales et internationales, se heurte néanmoins à plusieurs difficultés, malgré l'effort de nombreuses associations sur le terrain et l'introduction du Pass Sanitaire en juillet 2021. Actuellement, aucune donnée n'existe sur l'accès de ces populations à la primo-vaccination ni, a fortiori, sur la couverture vaccinale. Nous avons donc mené une enquête pour estimer l'accès à la primo-vaccination et la couverture vaccinale auprès de cette population et pour identifier et comprendre les facteurs qui leur sont associés. Méthodes Nous avons mené une enquête transversale stratifiée avec échantillonnage aléatoire en grappe à deux degrés auprès des personnes en situation de grande précarité, définies par rapport à leur lieu de vie, en Ile de France et Marseille. L'échantillon a été stratifié selon le mode d'hébergement avec constitution de six strates : 1) les personnes hébergées dans le Dispositif d'Hébergement Pérenne, 2) dans les Hôtels dits du 115,3) dans les Foyers de Travailleurs Migrants, 4) les personnes résidant en Aire d'Accueil des Gens du Voyage, 5) les personnes sans-abris vivant dans la rue ou dans des campements et 3) un sous-échantillon d'une cohorte de personnes précaires à Marseille. Ainsi, entre le 15 novembre et le 22 décembre 2021, 227 lieux en Ile-de-France (IDF) et à Marseille ont été investigués et 3811 entretiens individuels ont été effectués dans la langue du participant. Résultats En IDF, l'accès à la primo-vaccination a été de 79,3% [IC95%: 76,0-82,6] dans les centres d'hébergements, 70,4% [67,2-73,6] dans les hôtels sociaux du " 115 ", 86,1% [83,3-88,7] dans les foyers de travailleurs, 41,3% [22,3-60,4] dans les aires permanentes d'accueil de gens du voyage, 44,3% [35,5-53,2] dans les bidonvilles, squats informels et à la rue. Cet accès était de 40,4% [30,8-50,0] parmi les sans-abris à Marseille. Le schéma vaccinal initial complet (2 injections ou équivalent) y était respectivement de 75,7% [72,2-79,3], 63,0% [59,5-66,5], 81,6% [78,7-84,5], 30,5% [14,0-46,9], 38.4% [30,4-46,5] et 32,4% [23,1-41,8]. Les personnes en situation de grande précarité sont moins vaccinées que la population générale, pour toutes les catégories d'âge, et ont également connu un accès plus tardif d'environ 2 mois. Cette vaccination a été effectuée principalement dans les centres de vaccination ouverts à tous (54,9% au total), tandis que le recours aux dispositifs " d'aller-vers " ont concerné 17,6% des vaccinés. Les raisons de non-vaccination étaient liées à des refus d'effectuer le vaccin (78% des raisons) plutôt qu'à des barrières d'accès (22%), avec majoritairement une crainte des effets secondaires et un sentiment d'inefficacité du vaccin. Par ailleurs, 24,2% déclaraient que le Pass Sanitaire avait été la raison déterminante de leur vaccination. L'analyse univariée a identifié de nombreux facteurs individuels potentiellement associés à l'accès à la primovaccination parmi lesquels : le sexe, le pays d'origine, l'âge, la situation administrative, l'opinion sur la vaccination, la peur du vaccin, la composition du foyer, la situation financière, certains dispositifs de soutien, les sources d'information sur le COVID, la confiance dans les autorités, la couverture maladie, le suivi par un médecin habituel. Les facteurs externes liés à la structure expliquant la couverture vaccinale sont l'organisation d'une vaccination sur place, la sensibilisation au préalable, l'aide à la prise de rendez-vous et l'accompagnement des personnes vers une clinique mobile de vaccination. L'analyse multivariée montre que l'accès à la primo-vaccination est corrélé à l'âge (OR >65ans vs 18-25=2,4; IC95%: 1,5-3,9) et est favorisé par le fait d'être francophone (OR=1,3; IC: 1,0-1,6), de posséder (OR=2,4; IC: 1,8-3,1) ou d'être en attente d'un titre de séjour valide (OR=2,0; IC: 1,4-2,7), d'avoir une couverture maladie (OR=1,9; IC: 1,5-2,4), d'être suivi par un médecin habituel (OR=1,4; IC: 1,1-1,7), d'avoir une opinion personnelle positive sur la vaccination en général (OR= 1,7; IC: 1,2-2,4), ou d'avoir un entourage favorable au vaccin (OR=1,3; IC: 1,0-1,7). Se renseigner sur la vaccination contre le COVID via l'hébergeur favorise la vaccination (OR=2,3 ; IC : 1,3-4,1), au contraire de l'utilisation d'internet et des réseaux sociaux (OR= 0,7 ; IC : 0,6-0,9) ou de la presse (OR= 0,7 ; IC : 0,5-0,9). En outre, avoir besoin du Pass Sanitaire (OR= 3,1; IC: 2,6-4,0), prendre des repas fournis par son hébergeur (OR= 1,8; IC: 1,3-2,4), avoir été hospitalisé pour COVID-19 (OR= 2,2; IC: 1,1-4,4) et faire confiance aux autorités pour la gestion de la crise (OR= 1,6; IC: 1,1-2,3) sont aussi des facteurs positivement associés à l'accès à la primo-vaccination. Conclusion Notre étude est la première en Europe à documenter l'accès à la vaccination des personnes en situation de grande précarité. Nos résultats montrent que malgré une surexposition bien documentée au COVID-19, les personnes sans-abri et/ou migrantes sont moins vaccinées que la population générale, avec un accès au vaccin allant de 40% à Marseille contre 87% pour la population générale, et de 41% à 86% en Ile-de-France contre 91% pour la population générale. Nos résultats illustrent surtout un gradient de couverture vaccinale pouvant être considéré comme parallèle au gradient d'insertion sociale : plus les personnes ont accès au système de droit commun et/ou sont accompagnées et soutenues par les associations, plus elles s'informent auprès de personnes de confiance et plus la couverture est élevée. Notre étude révèle aussi que certains dispositifs de vaccination ont également bien fonctionné, comme les vaccinations effectuées directement sur le lieu d'hébergement ou lors de distributions alimentaires. Par ailleurs, nos résultats ont aussi révélé l'importance de la source d'information sur la vaccination COVID sur le choix de se faire, ou non, vacciner. Notre étude comporte certaines limites, notamment la difficulté pour recruter les gens du voyage, le taux non négligeable de remplacement des sites et des participants inclus ainsi que les biais de mémoire et de désirabilité sociale inhérents à ce type d'enquête. Finalement, les barrières d'accès au vaccin comptent de fait moins que les motivations personnelles dans ces populations. L'atténuation de ces barrières, avec un accès sans conditions au vaccin, démontre qu'une politique sanitaire volontariste, s'appuyant sur des médiateurs de confiance connaissant bien ces personnes, peut donner de bons résultats et mériterait d'être étendue à l'ensemble de l'accès à la santé.
Auteur : Roederer Thomas, Mollo Bastien, Vincent Charline, Leduc Ghislain, Sayyad Jessica, Vandentorren Stéphanie
Année de publication
: 2022
Pages : 63 p.